Un peu de lecture estivale ne peut jamais faire de mal ! Cet été, j’ai décidé d’écrire une série d’articles pour présenter ma « théorie des 5 C » : les cinq principes fondamentaux pour mettre le numérique au service de la facilitation. Lors du 1er épisode, nous avons vu comment Contrôler la Technologie. L’heure est venue de vous présenter le 2ème principe : Combiner les Outils.

Il était une fois…

L’année dernière, nous avons organisé un grand atelier collaboratif pour l’un de nos clients. En concevant son déroulé, j’avais prévu de commencer par une phase de création avec un Moodboard, ou Planche de tendance. Évidemment, l’application Stormz était largement suffisante pour l’animer intégralement via iPads. Un Moodboard 100% numérique était, non seulement possible, mais même préférable d’un point de vue pratique, car beaucoup plus facile à organiser : les photos auraient été présentées directement sur les tablettes des participants, qui auraient ensuite voté directement de façon digitale. Et pourtant, j’ai décidé de ne pas le faire sur iPad.

Au lieu de cela, j’ai préféré prendre le temps la veille de l’atelier d'aller dans des librairies pour acheter des dizaines de magazines, trouver les images adéquates puis filer à l’imprimerie pour faire découper les reliures des magazines. Le jour-J, j’ai dû venir avec plus d'avance pour disposer toutes les images sur deux tables vides au centre de la salle (où les participants devraient ensuite se rendre au cours de l’atelier). Un observateur quelconque pourrait facilement conclure : « Pourquoi ce pauvre bougre se donne-t-il tant de peine pour faire cela ? C’est une perte de temps folle ! ». Oui, mais non. Des années d’expérience de facilitation m’ont progressivement appris à jongler, dans une même activité, non seulement avec divers outils, mais avec des outils de nature différente : en somme, à combiner des outils high-tech et low-tech.

Revenons à mon histoire : les interactions entre participants étaient bien meilleures avec ces images papier que si elles avaient simplement été enregistrées sur leurs iPads ; l’énergie collective était décuplée, l’expérience largement plus immersive et le résultat bien plus satisfaisant ! Je n’ai évidemment pas complètement fait l’impasse sur le numérique : les participants prenaient des photos des images disposées sur leur table avec leurs iPads. J’ai utilisé la force du numérique pour créer un Moodboard géant rassemblant les images qui avaient été sélectionnées via des outils et un processus initial low-tech et manuel.

Le numérique n’est pas une fin en soi

L’exemple que je viens d’évoquer n’en est qu’un parmi bien d’autres. Il illustre, à mon sens, parfaitement l’idée sous-jacente à ce deuxième principe clé de la facilitation : le numérique n’est qu’un moyen pour parvenir à vos fins. Aussi puissant soit-il, c’est un outil de plus dans la boîte à outils du facilitateur qu'il faut combiner avec d'autres méthodes.

De nombreux acteurs impliqués dans l’organisation et la conception de dispositifs collaboratifs ont tendance à l’oublier, soit parce qu’ils ont des à-priori à l’encontre du numérique, soit, au contraire, parce qu’ils sont trop émerveillés (ou aveuglés !) par la puissance digitale de leurs outils. Mon conseil serait le suivant : restez émerveillé, il le faut, mais gardez une certaine humilité !

J’ai beau être immensément fier de l’application Stormz et de tout ce qu’elle permet et facilite, pas un jour ne passe sans que je me répète à moi-même : le numérique n’est pas une fin en soi ! À chaque session collaborative, il faut réfléchir attentivement aux besoins, aux contraintes et à l’objectif ultime de votre atelier afin de concevoir le processus à l’aide d’outils susceptibles de répondre le mieux à ces besoins et d’atteindre cet objectif.

Il faut solliciter les sens et les intelligences des participants

Les exemples suivants devraient vous convaincre, si ce n’est pas encore le cas. Ils mettent en avant une clé pour un bon atelier : sollicitez au maximum les sens de vos participants, car on réfléchit différemment avec la tête et avec les mains.

Exemple 1 : Le Toucher pour susciter des imaginaires

S’il y a bien une activité collaborative qu’il serait possible – et plus facile ! – d’effectuer sous format 100% numérique, ce sont les cartes d’inspiration. Avec Stormz, par exemple, nous pourrions présenter l’activité sur iPads en deux colonnes : d’un côté, tous les éléments d’inspiration ; de l’autre, les connexions qui s’en dégagent. Je pourrai même le faire dans un atelier à distance ! Et pourtant, je préfère clairement utiliser des jeux de carte réels quitte à leur envoyer par la poste. Pourquoi ?

Le simple fait de manipuler physiquement les cartes, de les déplacer, les agencer et les réarranger inscrit les participants dans une réelle dynamique immersive plus à même de déclencher, en tant que triggers, de nouvelles connexions plus originales. Cela les plonge dans une expérience collaborative où la discussion s’engage plus rapidement, avec plus d’entrain et d’enthousiasme, créant un processus au cours duquel les participants s’approprient les cartes d’inspiration avec plus de force que si elles avaient seulement été présentées sur tablette. Cela demande effectivement plus de temps de préparation, mais croyez-moi : cela vaut la peine et vous sentirez un réel saut qualitatif dans les contributions et résultats de la session.

L'enjeu est de trouver un bon équilibre et une bonne complémentarité avec le numérique, dans ce cas précis, nous avons mis à profit les avantages du numérique pour collecter les contributions des participants (la possibilité de cacher les idées des autres pour neutraliser les biais d’influence puis de les montrer en temps réel…).

Exemple 2 : La Construction pour matérialiser des idées

Le prototypage est un bon cas pour évoquer la large gamme d’instruments low-tech à votre disposition pour favoriser l’expérience collaborative. Le prototypage consiste à donner vie à un concept, une idée ou un produit autrement que par de simples mots et notamment grâce à des réalisations 3D, une maquette, un roman-photo, ou même via une activité de mime !

Par exemple, lors d'un atelier Product Box, les participants devront montrer la force d’une idée à travers la réalisation du packaging du produit comprenant le design, le logo, le slogan, mode d’emploi, le prix, etc. L'objet final, en plus de structurer la réflexion, servira de support ludique à la présentation. La méthodologie Lego Serious Play se fondent également sur cette idée fondamentale : apprendre en faisant. Le cerveau commande notre main, mais notre main conditionne et oriente nos pensées.

Une activité low-tech est très puissante, tant dans les idées qu’elle génère lors de sa réalisation que dans les résultats qui en découlent et qui fournissent une incroyable mine d’information et un puissant vecteur de communication. On dit qu'une image (ou un objet) vaut mille mots, alors pourquoi ne pas mettre à profit cette puissance évocatrice dans votre atelier ?

Comme dans mon exemple précédent, la partie numérique, Stormz donc, vient capturer les prototypes grâce à l'appareil photo des iPads ouvrant la voie à une évaluation multi-critères en temps réel par les participants.

Exemple 3 : Le Dessin pour s'exprimer en images

Avec nos développeurs, nous avons souvent flirté avec l’idée d’intégrer une application de dessin au dans l’application Stormz. Et pourtant, nous finissons toujours par mettre cette idée de côté. Non pas par impossibilité technique, mais par pure conviction. Les activités de sketching peuvent s’avérer très utiles, notamment lors d’une phase initiale de conceptualisation.

Chez Stormz, nous en raffolons, mais préférons demander à nos participants d’effectuer un dessin sur papier plutôt que de façon digitale - avant de demander, par la suite, à nos participants de prendre en photos leurs œuvres et de les partager sur l’outil Stormz. Il y a deux raisons principales à cela :

  • La première, plus pragmatique, renvoie au fait que la plupart de nos participants ne sont tout simplement pas des dessinateurs ou artistes de profession. Rien de surprenant ou de honteux là-dedans, mais pour les non-artistes, il est bien plus facile de dessiner sur papier que sur écran. Sur tablette, une grande majorité d’entre nous (dont je fais partie) ne pourrait dessiner rien de plus qu’un smiley ou, pour les plus habiles, un arbre avec des branches. Le dessin sur papier est bien plus adapté pour laisser libre cours à l’imagination des participants.
  • La deuxième raison de mon choix est méthodologique : l’action même de dessiner sur une grande feuille blanche de papier est, du point de vue de la créativité, de l’appropriation des enjeux et de l’expérience collaborative, bien plus efficace que le simple fait de passer son doigt sur un petit écran tactile, qui plus est maladroitement. De plus, il permet de collaborer en petit groupe et de dessiner ensemble sur la même feuille.

Encore une fois, ce qui fait le lien entre le numérique et le physique, c'est la prise de photo. Une fois numérisé, le dessin acquière les propriétés du numérique, comme l'ubiquité et l'instantanéité, et devient ainsi bien plus facile à traiter.

Exemple 4 : Le Mouvement pour engager les participants

Au risque vous vexer, j’inclus également notre propre corps dans la catégorie des outils low-tech. Je m’explique : l’une des incroyables forces du numérique est de pouvoir faire collaborer des dizaines, centaines et milliers de personne sans qu’ils ne soient contraints de bouger de leur chaise. C’est absolument génial, tout le monde en conviendra, mais… c’est également un piège. Parfois, il est nécessaire de faire l’impasse sur l'instantanéité du numérique pour encourager les gens à bouger !

Il est indispensable de créer des ateliers en mouvement ! Je ne veux pas forcément dire en mouvement constant, mais prévoir des moments où vos participants seront obligés de se lever, marcher, traverser la salle, aller chercher quelque chose. Les bénéfices sont nombreux :

  • Au niveau individuel, le mouvement permet une libération de l’énergie, de la pensée et de la créativité – ce n’est pas un hasard si de nombreux penseurs étaient de grands amateurs de promenades, ou que certains grands écrivains prenaient plaisir à écrire en marchant.
  • Au niveau collectif, instaurer du mouvement dans l’atelier permet de rompre une éventuelle monotonie, de créer une friction physique, de favoriser les interactions entre les participants en dehors de leurs tables ou groupes restreints et de créer des synergies nouvelles. Et le mouvement est également plus fun, dynamique et bon pour la santé !

Les activités en mouvement ancrent votre processus méthodologique dans une réelle expérience collective ressentie physiquement par les participants. Prenons une activité de brainwriting : un parfait exemple de la façon de combiner les outils : lorsque je facilite une session de brainwriting, je demande aux participants d’écrire leurs idées sur l’iPad (oui, oui, sur l’iPad, pas sur une feuille de papier) mais, ensuite, de se faire passer l’iPad entre eux pour progressivement enrichir et rebondir sur les idées précédentes – plutôt que de simplement enrichir les idées des autres depuis son propre iPad. Opérer ainsi donne du mouvement à l’activité, renforce l’intuition de faire partie d’un collectif, crée une rupture mentale et, surtout, illustre physiquement l’idée selon laquelle « je travaille à partir des idées de mes pairs », l’un des aspects essentiels du brainwriting souvent perdu si traité de façon purement numérique.

Le fait de n'avoir qu'un iPad par groupe donne une certaine légèreté aux participants qui peuvent se déplacer sans crainte de perdre ses idées ou de ne plus y avoir accès.

Le numérique, une variable constante et ajustable

Le numérique est, bien évidemment, toujours là. L'objectif est de combiner les outils, non pas de dénigrer la force du numérique. Il s’agit d’avoir en tête en quoi le numérique peut nous aider dans telle ou telle situation. Chez Stormz, nous utilisons le numérique pour quatre raisons principales :

  • Gérer les dynamiques de groupes,
  • Capturer en temps réel le meilleur des échanges et des idées,
  • Animer des dispositifs complexes (grands groupes ou à distance)
  • Et s’assurer d’un export complet et immédiatement accessible.

Il est de votre responsabilité d’avoir une conscience aigüe du « pourquoi » de votre utilisation numérique. Une fois que c’est bien établi, vous serez en mesure d’adapter son utilisation selon les cas, de les mêler à des outils low-tech selon l’objectif visé. La diversité des outils permet de mobiliser l’entièreté des facultés intellectuelles et manuelles de chacun tout en s’assurant de plaire au plus grand nombre.

Une étude du MIT avait montré que les groupes les plus créatifs était ceux qui faisaient le plus preuve d'empathie. C'est-à-dire que chaque membre comprenait très bien ce que disaient les autres et était capable de s'approprier leurs idées sans les trahir. Mettez en place une réelle « négociation » interne entre les outils impliqués dans votre processus collaboratif pour vous assurer qu’ils se respectent mutuellement. Prêtez attention à ce que chaque outil utilisé se combine bien avec les autres et que les idées passent de l'un à l'autre sans être dénaturées. En un mot, assurez-vous de l’empathie entre vos outils collaboratifs.

C’est là la seule façon de mettre le numérique au service de la facilitation, et non l’inverse.