L'Équipe Stormz explore les domaines de l'Intelligence Collective et son influence sur nos organisations à travers une série d'interviews d'experts venant de notre communauté de Facilitateurs. Aujourd'hui, nous accueillons Nancy Bragard avec qui nous avons réalisé plusieurs Forums Ouverts. C'est ainsi pour nous également l'occasion de parler de 3 méthodologies que nous apprécions et qui sont centrales dans l'Art Of Hosting :
- Le Forum Ouvert, également nommé Open Space Technology, est une méthode permettant d'ouvrir à la fois le contenu et la forme de conférences ou de séminaires. Après présentation de l'ordre du jour, les utilisateurs proposent leurs propres sujets et forment des groupes de travail.
- Le World Café est un processus conversationnel structuré pour échanger des connaissances. Les participants passent de table en table, où un sujet unique est discuté à chaque fois. Un hôte y reste tout le long pour s'assurer de la continuité des débats et pour en faire une synthèse à la fin.
- L'Approche Appreciative (Appreciative Inquiry) est une méthode de conduite du changement qui renverse le paradigme de résolution de problèmes pour se concentrer sur les réussites, les acquis et les énergies positives qui peuvent être mobilisées. Cette méthodologie est directement inspirée de l'Appreciative Inquiry, qui sera l'objet de notre prochaine interview avec Bernard Tollec.
La compréhension de l'Art of Hosting permettra d'avoir un peu de perspective sur ces 3 méthodologies, et c'est pour cette raison que nous avons sollicité Nancy. Nous souhaitons partager avec vous, sous la forme d'un entretien, la posture et la bienveillance de ses méthodologies qui nous avaient tant impressionnées.
Bonjour Nancy Bragard. Peux-tu te présenter et expliquer ton parcours ?
J’ai longtemps travaillé en tant que formatrice interculturelle avant de rencontrer l’Art of Hosting, en 2008, avec un premier séminaire qui a complètement changé ma vie. En tant que formatrice, je commençais à ne plus être satisfaite d’avoir une posture haute, d’apporter du savoir, des grilles de lecture ou des solutions de façon top-down, et de dire aux gens ce qu’ils devaient faire. En réalité, eux seuls savent comment faire différemment : ils ont simplement besoin de savoir qu’ils savent !
Avec mon premier atelier Art of Hosting, j’ai pris conscience du potentiel de l’émergence de l’intelligence collective d’un groupe. J’ai également vu à quel point cet apport portait les résultats plus pérennes puisque ce sont les acteurs du système eux-mêmes qui sont à l’origine des initiatives et de nouvelles façons de faire.
En 2008, l’Art of Hosting n’existait pas en France et la structure pyramidale était encore très importante. Mais nous étions beaucoup de consultants, facilitateurs ou coachs à vouloir embarquer les gens en interne et faire du bottom-up. Depuis le premier Art of Hosting en France en 2010, nous en avons fait un ou deux par an, et nous en sommes actuellement au vingtième. Il faut bien différencier nos prestations client, où l’hôte sera un peu plus à l’extérieur, un peu plus neutre, et nos séminaires Art of Hosting pour agrandir, faire avancer et faire monter en compétence la communauté : dans ce cas-là, la notion de client disparaît, tout le monde est ensemble et la notion d'égalitarisme prend toute sa place.
Qui sont les créateurs de l’Art of Hosting ? Existe-t-il un ouvrage ou une aventure de référence ?
L’Art of Hosting vient d’Europe du Nord et a été créé par une dizaine de personnes dans les années 1990. Mails ils ne revendiquent pas de propriété, l’Art of Hosting étant en open source et appartient à l’univers entier. C’est simplement une communauté de gens passionnés par l’apport des méthodes collaboratives pour donner vie à l’intelligence collective, chercher ce qui fait battre le cœur de l’organisation, éveiller le leadership en tout un chacun et mettre en place la transformation souhaitée.
L’Art of Hosting est une organisation organique, une structure très peu structurée. Cette communauté n’a d'ailleurs aucun statut juridique précis. Il est donc dans notre ADN de n’appartenir à personne en particulier et au monde entier. Pour rejoindre la communauté, par exemple, il suffit de s’inscrire sur le site internet. Lorsque nous faisons un séminaire en France, nous distribuons toujours le manuel qui décrit nos méthodologies. Cela nous permet en même temps de l’améliorer à chaque fois. Nous ne sommes pas du tout dans une logique de propriété ou de pénurie, on opère dans une logique d'abondance : la récolte qui naît de notre co-exploration appartient au monde entier.
Quel est le bénéfice principal qu’aurait une organisation à adopter l’Art of Hosting ? Est-ce pour donner de l'air aux organisations, comme les Liberating Structures ?
L’Art of Hosting permet de réunir ses collaborateurs différemment, de remplacer le top-down par du bottom-up mais surtout par de la co-création, et d’embarquer les collaborateurs dans les décisions. A condition que ce qui émerge de la consultation soit suivi d’actes, sinon cela crée de la frustration et fait mauvaise presse à nos pratiques. Plus largement, je dirais que l’objectif principal de l’Art of Hosting est de donner du sens à ce que font les collaborateurs et d’enrichir la vie et la transformation du système client. Car en fin de compte, c’est le système tout entier qui est embarqué dans cette transformation, non pas seulement les décisionnaires ou consultants extérieurs payés pour venir dire ce qu’il faut faire.
Nous sommes de plus en plus allergiques à cette posture haute de transmission du savoir top-down. Ce n’est pas une formation que nous proposons aux entreprises. Évidemment, cela requiert plus de travail, mais la plupart de nos interlocuteurs, las d’être ‘formés’, n’en sont pas mécontents. Ils savent qu’ils ne peuvent pas être de simples consommateurs de ce qu’on leur dit. Cela demande plus d’implication, mais donne également plus de sens in fine.
Il faut également accepter que le résultat ne soit pas forcément parfait : nous sommes dans une logique de prototypage permanent, et il est donc important de se permettre le droit à l’erreur. Les organisations sont de plus en plus nombreuses à vouloir essayer et expérimenter en sachant que ce ne sera pas parfait.
Qu'est-ce qui est le plus central dans l’Art of Hosting ? La posture de l’hôte ou l'ensemble de méthodologies à appliquer ?
Un peu les deux à la fois. L’Art of Hosting est effectivement une question de posture basse fondée sur l’humilité et l’équivalence afin de favoriser la co-exploration. Ne jamais prétendre savoir mieux que les autres est à la base de notre démarche. Nous disons dès le départ d’un événement qu’il y a un leader dans chaque chaise. Créer cet espace, ce container, avec une posture basse et bienveillante, permettant l’émergence de la sagesse collective, est central à ce qu’on fait. Il faut vraiment laisser venir et être garant du processus pour assurer cette émergence. Je touche ni à ce qui se dit ni au contenu, cela appartient aux acteurs, mais je suis gardienne de la méthodologie choisie.
Mais c’est également la communauté dont j’ai parlé, ainsi qu’un ensemble de visions du monde et une pratique fondée sur quatre volets : premièrement, s’occuper et ‘se hoster’ soi-même pour être ancré et centré ; ensuite, être hosté avec une écoute générative et être en relation avec d'autres ; troisièmement, être à l'initiative pour ouvrir des séminaires ou des conversations, par exemple ; et enfin, co-créer et s’assurer de la montée et de l’évolution des compétences dans la communauté des praticiens.
Bien sûr, l’Art of Hosting est également un ensemble de méthodologies visant à accueillir des conversations qui ont du sens, comme le Cercle, le World Café, l’art de la narrative, l’Approche Appréciative ou encore le Forum Ouvert. En bref, tout ce qui implique au moins deux personnes, car ce sont bel et bien les échanges qui donnent vie à l’intelligence collective. Il est mieux de faire parler et agir les acteurs du système, car ce sont eux qui savent mieux que quiconque ce qu’il faut faire pour transformer et ce qui marche ou non. L’Art of Hosting a ce double avantage : donner du sens à ce qu’ils font et consulter les bonnes personnes sur ce qu’il faut changer, ce qui permet de les embarquer dans une dynamique collective. Notre démarche se fonde sur ce dicton africain : « Seul, je vais vite ; mais ensemble, on va plus loin ».
Tu cites le Forum Ouvert, le World Café et l'Approche Appréciative, peux-tu nous en dire plus et notamment quel est l’ingrédient essentiel pour les animer ?
En tant qu’hôte, l'ingrédient essentiel est de co-créer avec le client. Dans l’Art of Hosting, les praticiens positionnent toujours leur relation avec le commanditaire comme un partenariat. Il faut être deux pour créer les thèmes et les questions d’un World Café ou d’un Forum Ouvert. De l’extérieur, on ne connaît pas assez bien l’âme de l’organisation, tandis qu’eux n’ont pas la technicité que l’on possède.
Si les méthodologies sont les moyens sur lesquels nous nous reposons, l’intention propre au séminaire est une question-guide, une problématique. Par exemple : « Comment mettre l’homme au centre de l’organisation ? » Toutes les méthodologies sont mises au service de cette intention, abordée au départ du séminaire. Nous pouvons aussi appliquer ce séminaire à des organisations : selon la problématique, nous pourrons appliquer plutôt le Forum Ouvert ou un World Café. Si la problématique est claire, complexe et requiert du courage de la part des collaborateurs, ce sera plutôt un Forum Ouvert. Le World Café, quant à lui, est beaucoup plus facile que le Forum Ouvert, car vous êtes 4 ou 5 autour d'une table, vous pouvez parler de choses plus diverses car personne n'est mis en évidence. Du coup il y a moins besoin d'un cadre très précis à définir à l'avance. Dans tous les cas, le n+1 du commanditaire ou les décisionnaires doivent être d’accord pour acter sur ce qui émergera : ce n’est pas la peine de consulter les collaborateurs si leurs idées sont laissées sans suite. Au contraire, cela peut vraiment avoir un effet trompeur et impacter la participation sur le long terme.
L'Approche Appréciative est directement inspirée de l’Appreciative Inquiry, et on ne le cache pas d'ailleurs, mais ce n’est pas exactement la même chose. Par exemple, l’approche appréciative ne va pas jusqu’au bout des « 5 D » de l’Appreciative Inquiry et s’arrête à la "découverte" (de talents, de ressources, de forces vives au sein de l’organisation) par le partage d'histoires inspirantes. Cela se fait par ailleurs en triades, et non pas en binômes, afin de pouvoir récolter et de conserver une trace des entretiens. De toute manière, toutes nos méthodologies sont basées sur l'Appreciative, sur cet état d'esprit positif. Si la méthodologie n'est pas la même, on reste constamment dans l’Appreciative, avec une vigilance particulière sur la forme des questions ou notre position par exemple.
Quelles sont les différences principales entre un facilitateur et un hôte ? Il y a beaucoup de points communs, non ?
Ils ont en effet beaucoup de choses en commun : l’hôte, comme le facilitateur, est là pour faire émerger auprès du public leur vérité et leur intelligence collective. Mais le facilitateur a peut-être une posture plus distante que l’hôte, car son objectif est de s’assurer du fonctionnement de la méthodologie et d’arriver au délivrable demandé par le client. La posture de l’hôte doit réellement être au service de l’intention et des participants : c’est une posture très basse sur le contenu (qui appartient aux acteurs) mais haute sur la structure, dont l’hôte est le gardien. Il faut vraiment éviter d'être dans une posture Top-Down.
L’hôte est là pour cela, mais doit également être le gardien du bien-être ; il fait partie du collectif, il s'assoit dans le cercle avec le groupe. La notion d’égalitarisme entre l’hôte et les participants est, à mon avis, la principale différence entre l’Art of Hosting et la facilitation : contrairement à un facilitateur, un hôte est réellement engagé dans une co-exploration avec les participants. Tout comme un hôte qui invite des amis à dîner, un hôte dans l’Art of Hosting doit préparer l’environnement en amont et participe, explore et prend plaisir avec le collectif en question lors du happening. Ainsi, il faut aussi s’assurer que le lieu et l’espace soient accueillants, c'est pour cela qu'il vaut mieux être deux pour accueillir une session d'intelligence collective pleinement. Nous faisons souvent une visite des lieux en amont pour dire ce qui va ou ce qui ne va pas. Nous sommes toujours très vigilants sur l’espace et l’architecture du lieu, sur l’énergie et le bien-être de l’espace choisi.
Comment peut-on se former à l'Art of Hosting ? Comment maîtriser cette posture d’hôte et les différentes méthodologies ?
En fait, on ne se forme pas à l’Art of Hosting… on monte en compétence dans les pratiques et la posture de l’hôte. L'Art of Hosting n’est pas qu'une simple méthodologie, pour épouser cette posture et connaitre les pratiques, il faut participer à un séminaire “découverte" d’une durée de trois jours. Nous encourageons généralement les gens à venir au moins deux fois avant de demander à être apprenti auprès de l’équipe d’hôtes. Après avoir fait partie de l’équipe d’hôtes lors d’autres événements, un apprenti acquiert la posture d’hôte et peut être appelé en cette qualité lors d’autres événements, mais ne peut pas encore initier de séminaires. Après avoir été hôte plusieurs fois et reconnu en tant que tel, on devient stewart, chargé de réellement contribuer à la communauté et de pratiquer le quatrième volet que j’ai évoqué : le développement de la communauté. Cette progression de participant vers stewart est le seul élément réellement structuré de l’Art of Hosting.
La pratique, plutôt que la formation, est donc centrale : une pratique de tous les jours, car il doit y avoir congruence entre ce que l’on dit et fait lors de séminaires et nos pratiques de vie. Dans les séminaires, les participants eux-mêmes choisissent quelles activités ils veulent faciliter. Il est antinomique de transmettre la facilitation de manière orale : il faut faire ! ‘Learning by doing’ oui, mais surtout practice, practice, practice !
Alors d'un côté, tout est accessible en open-source, mais de l'autre, il n’y a aucun label, aucune certification écrite à proprement parler. C'est pour cela que cela peut être intéressant de suivre des formations à la facilitation assurée par un nombre croissant d’organismes. Ils sont d'ailleurs une aide précieuse pour être hôte et maîtriser sa posture. Il y a notamment le Diplôme en Intelligence Collective de l'Université de Cergy qui dure un an et qui est excellent. Je vois le métier qui évolue au fur et à mesure des promotions successives, avec de nombreux diplômés déjà facilitateurs. Formapart est, à ma connaissance, l’organisation la plus ancienne qui fait des merveilles en formation de postures, un enjeu essentiel dans l’Art of Hosting.
Tu as déjà fait plusieurs ateliers avec Stormz. Vois-tu des façons de l’utiliser dans l’Art of Hosting ?
J’ai été impressionné par ce qu’il est possible de faire avec Stormz et à quel point l’application est user-friendly. Stormz a déconstruit les a priori que j’avais sur les solutions digitales dans la facilitation. Je vous ai trouvé très bons dans la technicité et adoré à quel point cela donnait vie à la récolte ainsi que votre façon de converger tout de suite vers une récolte partagée. C’est certain : la prochaine fois que j’ai une mission, je vous appelle !
Cela dit, il faut être attentif sur l'influence de l'iPad. Si vous commencez directement sur un iPad, même par groupes de deux ou trois, cela brise un peu, à mon avis, l’énergie et les échanges liés à la récolte collective de participants réunis autour d’une table. Comme nous en parlions, il vaut mieux combiner un grand poster avec quelques feutres et un iPad Stormz pour permettre aux participants de dessiner et de collecter en prenant les notes en photo. Beaucoup de choses, notamment inconscientes, passent par le dessin et par la lecture. Un exemple : dans une triade pour une activité de story-telling, une personne raconte une histoire, la deuxième pose des questions et la troisième dessine l’histoire comme il la perçoit. C’est magnifique pour le conteur de repartir avec le dessin, plutôt que de simples notes de récit, que quelqu’un d’autre a conçu pour illustrer sa propre histoire Cette interview est finie, n'hésitez pas à venir sur notre groupe Facebook pour en discuter tous ensemble ! Que pensez-vous de la posture de l'hôte ? Organiseriez-vous un Forum Ouvert en tant que client ? Est-ce qu'il y a d'autres sujets que vous souhaiteriez que l'on explore, ou des personnes qu'il faut absolument que l'on interroge ? En attendant, vous pouvez également lire les autres interviews de cette série :
- "L'Holacratie se concentre sur la carte du métro, pas sur les usagers" - L'interview de Jean-Michel Gode
- "Les Liberating Structures peuvent donner vie aux rendez-vous agiles" - L'interview de Frédéric de Verville
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