L'Équipe Stormz explore les domaines de l'Intelligence Collective et son influence sur nos organisations à travers une série d'interviews d'experts venant de notre communauté de Facilitateurs. Aujourd'hui, nous accueillons Jean-Michel Gode que nous avons rencontré lors d'un meetup de l'IAF et qui s'est récemment formé à l'outil Stormz. Le discours qu'il développe, notamment sur des questions de management et de conduite du changement, nous a passionné et nous avons souhaité le partager avec vous sous la forme d'un entretien.

Bonjour Jean-Michel, pourrais-tu te présenter brièvement et nous expliquer en quoi consiste l’Holacratie ?

Bien sûr ! Je m’appelle Jean-Michel Gode et j’accompagne les entreprises et les organisations qui souhaitent adopter l’Holacratie.

L'Holacratie (du grec holons, le "tout) est un mode d’organisation inspiré de l'holarchie, qui permet de répartir la décision aux niveaux les plus pertinents et les plus proches du terrain. Elle donne aux personnes qui travaillent les autorités dont elles ont besoin pour prendre les décisions qui les concernent. C’est une façon de structurer une organisation via la décentralisation de la prise de décision et l'autonomisation des individus.

Cela fait dix ans que l’Holacratie existe : il est donc normal qu’elle commence à gagner en notoriété, avec notamment l’adoption de l'Holacratie par Zappos qui a fait beaucoup de buzz. Aujourd'hui, il y a plus de 200 000 références sur le sujet sur Google ou les autres moteurs de recherche. C’est vraiment impressionnant.

L’intérêt pour l’Holacratie est lié, plus largement, à la remise en cause des modes de management traditionnels. Aujourd’hui, les gens sont de plus en plus conscients des limites des modes d’organisation classiques, il y a une véritable recherche de sens au travail. Le mouvement des entreprises libérées a, par exemple, nourri cette réflexion.

Qui exactement a créé l’Holacratie ? Est-ce qu'il y a un ouvrage de référence ? Une filiation avec la méthode Agile ?

Je dirais plutôt qu’il y a eu une aventure fondatrice. L’Holacratie a été créé dans une entreprise expérimentale par trois agilistes qui produisaient des logiciels. Il n'y a pas vraiment de filiation formelle avec les méthodes agiles, mais plutôt une influence.

L’un de ses créateurs, Brian Robertson, était de plus en plus insatisfait des modes d’organisation traditionnels. En tant que salarié tout d’abord, parce qu’il trouvait que ses talents était très mal gérés et qu’il était difficile de mettre en place ses idées. Mais également en tant que patron. Nourri par cette notion de « servant leader », il voyait qu’il devenait lui-même le goulot d’étranglement de son entreprise et le principal obstacle à ce qu’il voulait mettre en place. Il a voulu faire autrement : il a donc monté cette entreprise laboratoire, Ternary Software, au sein de laquelle ils ont essayé tout ce qui existe en matière de management et de modes de prise de décision. Ils ont gardé ce qui marchait et jeté ce qui ne marchait pas. Au bout de sept ans, leur entreprise a été distinguée par la presse économique américaine qui s’interrogeait sur ce qu’ils faisaient. L’Holacratie est donc née de façon empirique dans une entreprise laboratoire avec des gens qui, tout simplement, cherchaient à s’organiser autrement.

Il n’y a pas de livre fondateur. En revanche, il y a un ouvrage de référence paru une fois que l’Holacratie a commencé à se diffuser : « La Révolution Holacracy » de Brian Robertson justement, traduit en environ quatorze langues aujourd’hui, notamment en français. Il y a également la bande-dessinée « Une nouvelle technologie managériale : l’Holacracy », de Bernard-Marie Chiquet. En réalité, beaucoup de gens ont lu la B-D avant de connaître le livre puisqu'il est possible de la lire en ligne.

Comment l’Holacratie fonctionne-t-elle exactement ? Quelle est la vision du groupe et de ses membres ?

Dans une entreprise classique, des gens travaillent ensemble avec des fiches de poste. En Holacratie, nous faisons la distinction entre les gens et la fonction qu’ils occupent et allons faire attention à l’interconnexion des différentes fonctions pour créer une structure qui fonctionne. La cellule minimale pour l’organisation en Holacratie est ce que nous appelons le Rôle, qui comprend différentes choses comme le nom, les missions ou les activités régulières attendues de ce rôle par l’organisation. Par exemple, « Faire connaître Stormz au monde entier » pourrait être ta mission et « Publier régulièrement des articles sur le blog » l’une de tes activités régulières.

L’entreprise définit ses propres rôles, qui sont ensuite confiés à des personnes. Il est donc possible d’avoir plusieurs rôles dans l’organisation, ou qu’un même rôle soit confié à plusieurs personnes. Si nous prenons le cas d’une plateforme d’appel téléphonique par exemple : des dizaines de personne vont remplir le même rôle d’opérateur téléphonique.

Les Redevabilités décrivent les activités régulières dont l’organisation a besoin en lien avec ses missions. C’est différent des Responsabilités qui induisent que si tu ne fais pas les choses par toi-même, c’est mal. La redevabilité vient du terme anglais « accountability » : ce n’est pas une mise en responsabilité directe, on attend juste de ce rôle spécifique qu'il fasse en sorte que les choses soient faites, que ce soit par lui ou par n'importe qui d'autre.

Dans une entreprise classique, une idée ne peut être mise en place qu’après une autorisation explicite. En Holacratie, les personnes ont l’autorité de faire tout ce qu’ils veulent dans le cadre de leur rôle. En somme, nous transformons un espace où tout ce qui n’est pas autorisé est interdit par défaut en un espace où tout ce qui n’est pas explicitement interdit est implicitement autorisé. C’est un changement de paradigme très important.

Existe-t-il des rendez-vous propres à l’Holacratie ? Un peu comme les rituels de la méthode Agile ?

Tout à fait. L’Holacratie a trois rituels principaux. En premier lieu, il y a la Réunion de Triage, centrée sur les opérations. Elle remplace, en quelque sorte, la « réunion du lundi matin ». Les gens se synchronisent et organisent le travail à faire. En revanche, il n’y a généralement pas de réflexion sur le fond : c’est prioritairement une réunion de planification du travail.

Ensuite, nous avons la Réunion de Gouvernance, qui permet de créer les rôles, de les transformer ou de les connecter entre eux. Cette réunion se tient au niveau du Cercle, un ensemble qui réunit tous les rôles impliqués dans la réalisation d’une mission commune. Comme un gros rôle qui grandi, un Cercle a aussi sa mission et ses redevabilités, ses attendus. Un cercle de vente, par exemple, sera composé de plusieurs vendeurs avec des rôles spécifiques (marketing, prospection, fidélisation, etc.). Il est également possible d’appartenir à plusieurs cercles.

On en vient à la troisième et dernière réunion principale de l’Holacratie : la Réunion de Stratégie.

Un point important est que toutes ses réunions de cercle, sont systématiquement facilitée par des personnes formées à la facilitation en Holacratie.

Quelle est la place du Facilitateur au sein de l’Holacratie ? Quelle est la différence avec la facilitation classique ?

Le rôle du facilitateur classique est généralement de mettre tout le monde à l’aise et de nourrir le collectif. La facilitation en Holacratie, en revanche, est d’être la gardienne du processus et des règles de l’organisation, pas des personnes. Elle est là pour résoudre la tension de la personne (c’est-à-dire, quelque chose qu’elle souhaite améliorer) et se focalise donc, tour à tour, sur chaque participant. Par exemple, elle ne permet pas aux autres participants de prendre spontanément la parole. La réunion en Holacratie est parfois assez « musclée », une posture qui peut bloquer certains facilitateurs classiques qui vont trouver le processus fermé et peu empathique.

Je n'ai pas la sensation que ce soit particulièrement radical, ni même violent, je dirais plutôt que c'est une facilitation d’art martial : lorsqu’il faut trancher, tu tranches. Il y a des règles à respecter et le processus en tant que tel est non-négociable. Certaines personnes supportent mal la rigueur de l’Holacratie, mais nous ne sommes pas là pour gérer les égos de chacun. Nous gérons des rôles, pas des personnes. L’Holacratie n’est pas conçue pour gérer les états d’âme des gens, mais pour appliquer un processus. Les états d’âme doivent être traités dans un autre espace.

C’est pourquoi vient souvent avec la mise en place de l’Holacratie un accompagnement (coaching collectif ou individuel) pour aider les gens à devenir souverains et prendre leurs responsabilités. Par exemple, lorsqu’un manager perd soudainement tous ses pouvoirs « hiérarchiques », il faut l’aider à s’adapter à cette nouvelle situation et à ne plus penser comme un chef, étant donné que les gens sont devenus autonomes dans leurs rôles. Il y a nécessairement un accompagnement à faire.

L’Holacratie doit donc être combinée avec une fonction coaching ?

Dans sa mise en place, oui, car il faut en même temps nourrir le collectif. L’Holacratie ne nourrit que la structure, qui est quelque chose d’un peu inhumain. Je m’explique : si nous prenons le métro, nous pouvons nous concentrer sur le plan du métro ou sur les usagers. En regardant le plan, tu ne penses pas aux gens qui s’y trouvent.

L’Holacratie ne regarde que le plan, sans préjuger en rien de la vie ou de la nature des rapports entre les personnes. L’interconnexion des rôles, soit la structure de l’organisation, ne décrit en rien la vie de l’organisation. Il faut donc également prendre en compte l’importance du collectif et le nourrir, mais dans un autre espace, cette fois-ci dédié aux personnes.

Pourrais-tu nous parler des process à suivre ? Lesquels suivez-vous pour l'idéation, le tri, etc. ?

Nos process ne s’intéressent pas à la production de contenu. Ce sont des process de traitement de sujets : le triage, par exemple, permettra de traiter toutes les questions à l’agenda en un temps court. Dans ce cadre, nous demanderons à chaque porteur d’un sujet ce dont il a besoin, qui peut se résumer en cinq catégories : donner une information, demander une information, dire qu’une activité doit être créée dans le cercle, demander à ce que quelqu’un fasse une action dans l’un de ces rôles ou mettre en place un projet avec un objectif à atteindre.

Tout cela se passe dans le triage : cette réunion sert à organiser le travail du cercle ; il y a peu de place pour les réactions à vif. Comme chacun est autonome dans son rôle, tout ce qui relève du conseil, de l’aide, des coups de main, de l’émotionnel n’est pas pris en compte.

La réunion de gouvernance s’appuie également sur éléments très factuels, remontés du terrain, et met en œuvre un processus strict, assez proche d’un processus de décision sociocratique.

C’est un mode de prise de décision où l’on s’arrange pour qu’il n’y ait pas d’objections factuelles : on teste toutes les objections pour s’assurer qu’elles soient bien ancrées dans le réel et ne relèvent pas de la pure opinion. Tout le monde peut faire une proposition qui sera acceptée sous réserve qu’il n’y ait pas d’objections. Cette réunion définit les autorités des uns et des autres : elle est très importante car elle définit collectivement l’espace à l’intérieur duquel les gens pourront agir de façon autonome. L’équilibre idéal, en somme : un espace collectif pour distribuer des responsabilités individuelles. Car on ne peut avancer vite et efficacement dans son rôle que dans la mesure où les frontières sont claires et qu’elles ont été définies collectivement. La délégation du collectif nous permet d’être autocrate dans notre rôle individuel.

Et enfin, une dernière question bonus : Penses-tu que Stormz puisse être utile en Holacratie ? Et si oui, comment ?

À mon avis, Stormz et l’Holacratie sont complémentaires, un peu comme un marteau et un tournevis, mais à des étapes différentes du processus. Tout simplement parce que Stormz est un outil de production de contenu et que nous produisons peu de contenu en Holacratie – mis à part la réunion de gouvernance.

Stormz pourrait être utilisé lors des réunions de stratégie, pour lesquelles il n’y a pas vraiment d’outil dédié. Et bien sûr pour toutes les réunions de travail : brainstormings, réunion de projets, ateliers… planifiés lors des réunions de triage.

Cette interview est finie, n'hésitez pas à venir sur notre groupe Facebook pour en discuter tous ensemble ! Est-ce un modèle qui vous conviendrait, qui vous gênerait ? S'il y a d'autres sujets que vous souhaiteriez que l'on explore, ou des personnes qu'il faut absolument que l'on interroge, notre porte est ouverte :)