On s’y rend en traînant les pieds. Arrivé là-bas, on a déjà oublié après 10 minutes pourquoi on est venu. Ah oui, la hiérarchie l’exigeait. Ou même si elle ne l’exigeait pas, elle le « recommandait fortement ». Bon. Maintenant qu’on est là, qu’est-ce qu’on fait ? Oh, un PowerPoint. Ah non… Trop de chiffres, trop de flèches qui partent dans tous les sens, pas assez d’entrain du conférencier. C’est qui d’ailleurs ? On ne l’avait jamais vu avant… Ah si, dans les couloirs peut-être… Bon. Vérifions nos e-mails. Vrrr, vrrr, vrrr. Oh là, il y en a beaucoup. Trop. Plus qu’à piquer un petit somme discrètement.
La malédiction du cheveu sur la soupe.
Le séminaire d'entreprise.
- L’art de faire perdre du temps à tout le monde ?
- De l’argent à l’entreprise ?
- L’art d’opposer les égos de chacun pendant des heures dans un combat mort-né, puis de mettre finalement tout le monde d’accord sur son inutilité ?
Le séminaire d’entreprise n’a pas toujours été l’objet d’un tel mépris. Et pour cause. Il remplissait des tâches essentielles. Objectifs professionnels évidemment, mais aussi rôle relationnel (cohésion des équipes, synergies nouvelles, motivation des troupes, promotion de la culture d’entreprise…).
Aujourd’hui, il semble faire l’exact opposé.
Jugé trop long par certains, peu constructif par d’autres, simplement inutile par beaucoup, le séminaire devient une corvée, et arrive souvent comme un cheveu sur la soupe dans les emplois du temps respectifs.
Un secret difficile à garder.
Fonctionnant selon une structure hiérarchique et verticale, il provoque l’ennui et le désintérêt. Incapable de formuler des résultats concrets ou de donner lieu à des tâches précises, il provoque l’ironie et le cynisme. Essayant coûte que coûte de rassembler les individus en une équipe, les équipes en un département, les départements en une entreprise, il provoque la méfiance et l’éloignement.
Est-il destiné à demeurer cela, une inutile hypocrisie, secrètement partagée mais non avouée?
Peut-être pas si secrète que ça.
Au départ d’avion pour Prague un jour, je suis tombé sur un groupe de personnes aux allures professionnelles saupoudrées d’une petite touche de décontraction forcée. En observant leur air genre je-ne-sais-pas-trop-ce-que-je-fous-là-avec-ces-gens-et-ce-que-je-vais-bien-pouvoir-leur-dire-pendant-3-jours, je me dis en rigolant qu’ils devaient aller faire une sorte de team-building à Prague le temps d’un week-end. J’ai bien ri quand j’ai surpris une conversation qui confirmait mon hypothèse.
« Allez mon chéri, va jouer avec tes petits camarades ».
Aux critiques contre les séminaires d’entreprise, les dirigeants ont répondu en proposant des destinations « vertes » ou exotiques, des activités « rigolotes » et des « ateliers-sourires », des programmes toujours plus excitants et extravagants.
Bon, c’est un début, et témoigne d’une envie de s’adapter. Mais ça tend dangereusement vers le séminaire-gadget, simple compensation du séminaire-raté. Les dirigeants se comportent souvent comme ces grand-mères qui, refusant de voir que leurs petits-enfants grandissent, leur organisent constamment des petits jeux à valeur pédagogique et les poussent à aller jouer avec les autres enfants dans le bac à sable.
Les grand-mères sont importantes, il ne faut pas les envoyer paître. Mais dites-lui que vous n’avez plus besoin de Playmobil pour mettre en place le plan d’attaque de vos chevalie… euh, employés !
Il faut réussir à adapter les méthodologies et les outils du séminaire sans pour autant perdre de vue sa raison d’être. Rendre collaboratif ce qui était unilatéral. Rendre efficace ce qui était flottant. Rendre ludique ce qui était sérieux, sans tomber dans la bouffonnerie. Impliquer les participants sur le long-terme.
Illustration par Sophie Martineau.